Lauréat 2022 : David Décarie

17 nov 2022

Le prix de la critique littéraire Jean-Éthier-Blais 2022, doté d’une bourse de 3000 $ et décerné annuellement par la Fondation Lionel-Groulx à l’auteur du meilleur livre de critique littéraire paru au Québec pendant l’année précédente, portant sur la littérature québécoise de langue française et écrit en français, est attribué à David Décarie pour son livre Le rêve de Phonsine (Les Presses de l’Université de Montréal, 2021). La remise du prix Jean-Éthier-Blais 2022 s’est tenue ce 17 novembre à 17 h en présence du lauréat, de la présidente du jury et du président de la Fondation Lionel-Groulx.

Présidé par la professeure de littérature de l’Université d’Ottawa madame Lucie Hotte, le jury est également composé d’Élise Lepage, professeure agrégée de littérature québécoise au Département d’études françaises à l’Université de Waterloo et de Marie-Pier Luneau, professeure titulaire au Département des arts, langues et littératures de l’Université de Sherbrooke. Dans sa décision, le jury a précisé que « Cet ouvrage propose une lecture minutieuse, attentive aux plus petits détails, des textes (romans, nouvelles, radio et téléromans) qui forment le Cycle du Survenant. Il atteste de la connaissance intime qu’a David Décarie de l’œuvre de Germaine Guèvremont, de sa vie et de ses archives. En associant l’analyse poétique à l’analyse psychocritique, l’ouvrage éclaire le processus créateur de l’autrice que les deuils, les secrets de famille et les enfants de remplacement ont fortement marquée et montre comment ils structurent les thèmes et les personnages récurrents des œuvres du Cycle. L’ouvrage nous rappelle ainsi l’importance de cette œuvre multiforme. »

Soirée de remise du prix Jean-Éthier-Blais 2022.
De gauche à droite, debout : Myriam D’Arcy, directrice générale de la Fondation Lionel-Groulx; Lucie Hotte, professeure de littérature de l’Université d’Ottawa et présidente du jury; David Décarie, lauréat et professeur au Département d’études françaises de l’Université de Moncton; Patrick Poirier, directeur général des Presses de l’Université de Montréal; Jacques Girard, président de la Fondation Lionel-Groulx. À l'avant-plan : Hélène Destrempes, professeure de littérature québécoise à l’Université de Moncton; Micheline Cambron, professeure au département des littératures de langue française à l’Université de Montréal; Lucie Robert, professeure de littérature québécoise à l'Université du Québec à Montréal.

Allocution de Lucie Hotte, présidente du jury

Monsieur le Président,
Madame la Directrice générale,
Mesdames, Messieurs,

Ce fut un grand plaisir pour moi de présider pour la troisième fois le jury du Prix Jean-Éthier-Blais, un prix qui me tient à cœur, comme je l’ai déjà souligné, non seulement parce qu’il récompense le meilleur ouvrage de critique littéraire en français portant sur la littérature québécoise de langue française, mais aussi parce qu’il est dû à la générosité d’un compatriote franco-ontarien, Jean Éthier-Blais. Je remercie M. Jacques Girard, président de la Fondation Lionel-Groulx, Madame Myriam D’arcy, directrice générale, ainsi que son adjoint, M. Étienne Lafrance, qui nous ont apporté leur précieux appui tout au long du processus. Je remercie également mes collègues, Élise Lepage et Marie-Pier Luneau qui ont accepté de faire partie du jury cette année et ont lu avec rigueur et minutie le 26 ouvrages soumis pour le prix. Je vous les présente brièvement.

Élise Lepage est professeure agrégée de littérature québécoise au Département d’études françaises à l’Université de Waterloo. Ses travaux portent sur l’imaginaire géographique et le paysage dans la littérature québécoise, notamment en poésie contemporaine.

Marie-Pier Luneau est, elle, professeure titulaire au Département des arts, langues et littératures de l’Université de Sherbrooke où elle dirige aussi le Groupe de recherches et d’études sur le livre au Québec. Elle s’intéresse, dans ses travaux, au statut de l’auteur au Québec et à la littérature populaire.

Après délibérations et discussions, le jury en est venu à la décision unanime de remettre le prix Jean-Éthier-Blais 2022 à David Décarie pour son livre Le rêve de Phonsine. Poétique/psychocritique du Cycle du Survenant de Germaine Guèvremont. Cet ouvrage propose une lecture minutieuse, attentive aux plus petits détails, des textes (romans, nouvelles, radio et téléromans) qui forment le Cycle du Survenant. Il atteste de la connaissance intime qu’a David Décarie de l’œuvre de Guèvremont, de sa vie et de ses archives. En associant l’analyse poétique à l’analyse psychocritique, l’ouvrage éclaire le processus créateur de l’autrice que les deuils, les secrets de famille et les enfants de remplacement ont fortement marquée et montre comment ils structurent les thèmes et les personnages récurrents des œuvres du Cycle. L’ouvrage nous rappelle ainsi l’importance de cette œuvre multiforme.

Le jury souhaite décerner une mention honorable à l’ouvrage de France Théoret, La forêt des signes, publié aux Éditions du Remue-Ménage. En retraçant sa propre trajectoire et en revisitant son rapport à l’écriture, cette figure incontournable du mouvement féministe dépasse ici son expérience subjective pour rejoindre l’universel, en faisant revivre tout le Québec littéraire des années 1960 à nos jours.

Le jury décerne également une mention honorable à André Major publié par Michel Biron et François Dumont aux Éditions du Boréal. Sous la plume vive et précise d’André Major, acteur et témoin clé du milieu littéraire et culturel québécois, cet ouvrage d’entretiens recrée avec nuance et recul le portrait de toute une génération qui, entre questionnements politiques et linguistiques, a donné son souffle à la modernité littéraire au Québec.

Enfin, le jury désire souligner l’excellence du livre de Pierre Hébert, Vie(s) d’Eugène Seers/Louis Dantin. Une biochronique littéraire, une somme magistrale de connaissances sur Louis Dantin et la vie littéraire au Québec à son époque.

Au nom du jury et de la Fondation Lionel-Groulx, je tiens à féliciter chaleureusement le lauréat et les finalistes du prix Jean-Éthier-Blais 2020.

Lucie Hotte
Présidente du jury

 

Allocution du lauréat

Cher président,

Chère directrice,
Chers administrateurs et chères administratrices de la Fondation Lionel-Groulx,
Chères membres du jury,
Chères invitées

C’est avec plaisir et fierté que je reçois aujourd’hui le prix Jean-Éthier-Blais de la Fondation Lionel-Groulx pour mon essai Le rêve de Phonsine, Poétique / psychocritique du Cycle du Survenant de Germaine Guèvremont. Je suis d’autant plus touché par ce prix qu’il récompense un livre qui me tient particulièrement à cœur puisqu’il représente la synthèse et l’aboutissement de longues recherches visant notamment à réaliser l’édition critique des œuvres complètes de Guèvremont, toujours en cours.

J’habite au Nouveau-Brunswick, à Memramcook, village situé près de Moncton mais ayant joué un rôle illustre dans l’histoire de l’Acadie. N’écoutez pas les vantardises des autres villages : le berceau de l’Acadie, c’est nous! Avant d’obtenir le prix Jean-Éthier-Blais, l’une de mes grandes fiertés était d’être le propriétaire d’un tracteur Ford-New-Holland GT65 acheté d’occasion le jour de ma fête il y a quelques années. Les astres s’étaient miraculeusement alignés à partir du moment où j’avais vu le rutilant engin dans une petite annonce : c’était une occasion, un coup de veine! Et j’ai été le premier à appeler le vendeur; et ma femme Marybeth, l’économe du couple, a été étrangement facile à convaincre. Le tracteur, ancien mais pas trop, avec une petite cabine, pouvant tondre ou souffler la neige, est sorti de mes rêves pour se retrouver dans mon entrée.

Bien sûr, je me suis presque tué en l’utilisant pour la première fois, ayant un terrain en pente traversé par un ruisseau, et n’étant familier ni du levier de vitesse, ni du frein. Je me suis de plus rapidement rendu compte que ce colosse, certes âpre à l’ouvrage, avait une nature délicate, et même… une santé fragile. Ô crevaisons à moins trente-cinq, Ô fuites d’huile, Ô vis cassées, Ô sangles déchirés! Je me suis également rendu compte, on n’en finit jamais de se connaître soi-même, que je n’étais guère doué comme mécanicien et que les youtubeurs s’étaient très peu intéressés aux Ford GT-65.  Le premier printemps, je me suis enlisé dans la boue, mais enlisé, et le lendemain, réenlisé, mais réenlisé! Et toujours mes voisins m’ont aidé, aidé de nouveau, réaidé, et même rééaidé. J’ai alors découvert cette profonde vérité que, comme il faut tout un village pour élever un enfant, il faut tout un village pour mettre un professeur d’Université sur un tracteur.  

Pour revenir à mes recherches, j’ai eu la chance, tout au long de celles-ci, d’être accompagné, aidé, poussé, tiré, sorti de la boue, survolté, par des alliées, auxquels j’aimerais rendre ici hommage.

Merci tout d’abord à Annette Hayward pour m’avoir fait découvrir l’œuvre de Guèvremont et sans cesse encouragé à poursuivre mes recherches. Merci à Micheline Cambron, véritable mentor, qui m’a initié aux recherches en archives. Merci à François Ricard et Marcel Olscamp, tous deux récipiendaires du prix Jean-Éthier Blais, ainsi qu’à Lucie Joubert pour le rôle important qu’ils ont joué dans les premières phases des travaux d’édition critique sur Germaine Guèvremont. Un merci tout particulier à Yvan Lepage, grand spécialiste de Guèvremont, auquel mes travaux doivent beaucoup. Merci à Christian Vandendorpe, qui a organisé un colloque sur le rêve lors duquel je me suis intéressé pour la première fois au rêve de Phonsine. Merci au CRSH ainsi qu’à mon université pour avoir contribué au financement de nos travaux sur Germaine Guèvremont. Merci au prix d’auteurs pour l’édition savante pour avoir financé la publication de mon essai et merci à leurs évaluatrices et évaluateurs anonymes. Vos commentaires m’ont aidé à améliorer mon essai. Merci à Sonya Malaborza et à Julien Desrochers pour avoir relu et révisé mon manuscrit. Merci aux Presses de l’université de Montréal, à Patrick Poirier, le directeur général, ainsi qu’à Bénédicte Prouvost et à Laurie Bédard ainsi qu’à la directrice de la collection « Nouvelles études québécoises », Martine-Emmanuelle Lapointe. Je leur suis à jamais redevable de garder le secret sur les chiffres de vente de mes livres.

Merci à toutes les assistantes de recherches et à tous les assistant de recherche qui ont travaillé sur nos projets d’édition critique. Un merci tout particulier à Rosemarie Fournier-Guillemette, la plus ancienne de nos assistantes de recherche et qui est maintenant ma collaboratrice. Merci aux ayant-droits de Germaine Guèvremont, Eliza Gentiletti, Michel Poulos, Jacques et Pierre Guèvremont, pour leur aide précieuse. Merci à Natali Leduc et à Frédéric Gayer pour les thaumatropes du livre.

Un immense merci à Lori Saint-Martin, récemment décédée, ma collaboratrice dans le vaste chantier des édition critique. L’écriture de mon livre n’aurait pas été possible sans ce travail en commun réalisé depuis de très longues années. Chère Lori, merci pour ta fidélité indéfectible à ce projet, pour ta grande générosité, pour ton intelligence exceptionnelle, pour ta créativité, pour ton sens de l’organisation, pour ton temps si précieux, toi qui menait tant de projets importants, merci pour tes ruses et ta diplomatie, pour ton humour souvent piquant, pour ton énergie de coureuse de fond, pour ton élégance de pensée, pour toutes les marques d’amitié que tu m’as prodigué, pour ton amour de la littérature, de la littérature des femmes et de Germaine Guèvremont! J’ai eu beaucoup de chance de croiser ta route. Tu me manques beaucoup!

J’aimerais de plus remercier la Fondation Lionel-Groulx, son président, Jacques Girard, et sa directrice, Myriam d’Arcy. Merci pour votre soutien à la littérature québécoise et à la critique littéraire! Je suis très fier de compter parmi les prestigieuses lauréates et prestigieux lauréats de ce prix.

Merci enfin à la présidente du jury, Lucie Hotte ainsi qu’aux deux membres du jury, Élise Lepage et Marie-Pier Luneau. C’est un grand honneur de recevoir un prix d’un tel jury.

Mon essai permet, je l’espère, de voir autrement l’œuvre de Germaine Guèvremont, autrice rangée trop étroitement dans les cases de l’histoire littéraire. Dans ses travaux sur la non-lecture du XIXe siècle au Québec, Micheline Cambron remarque « le poids d’une vulgate que l’accumulation des travaux savants ne semble pas parvenir à éroder [1] ». L’ambition de tout critique travaillant sur une œuvre est de contribuer à l’avancement des connaissances sur celle-ci. Dans le cas de l’œuvre de Guèvremont, cet effort s’accompagne, consciemment ou non, d’une tentative de remettre en question une série d’idées reçues.

Première idée reçue – Malgré une longue carrière de pionnière ponctuée de succès, malgré les rôles clés qu’elle a joués dans l’institution littéraire de son époque, Guèvremont est vue comme une écrivaine possédant un grand talent, certes, mais un talent « naturel ». Cette idée reçue est bien évidemment empreinte de misogynie. Ce préjugé sexiste, même s’il n’est plus directement reconduit, me semble toujours actif dans les soubassements de la vulgate qui font de Guèvremont une écrivaine « instinctive » (et le pas est facilement franchi d’« instinctive » à « naïve »), dépourvue de l’« autorité » sur ses œuvres qu’on reconnaît par exemple à un Félix-Antoine Savard ou à un Ringuet. J’ai répondu à cette première idée reçue, dans cet essai, en insistant sur le travail formel de Guèvremont, trop peu remarqué, et tout particulièrement son travail novateur sur le cycle littéraire. Il ne faudrait toutefois pas oublier de souligner la beauté, la justesse et la qualité de son écriture, de son style et de ses images.

Deuxième idée reçue – Émanant de la Grande Noirceur, l’œuvre de Guèvremont se situerait du mauvais côté de la Révolution tranquille dans l’histoire littéraire. L’œuvre de Guèvremont est de plus rattachée à cette époque par le lourd boulet d’un genre, croquemitaine des cours de littérature québécoise au collégial, celui du « roman du terroir » dont elle serait issue. Se rattache à ce préjugé le snobisme particulier réservé, dans le jeunisme ambiant de l’époque actuelle, aux « vieilles choses, vieilles gens ». À son niveau le plus superficiel, l’œuvre de Guèvremont a des problèmes d’image, de « branding ». Cette idée reçue a sans doute contribué au peu d’intérêt de la critique pour En pleine terre. Le filtre de lecture est à prendre au sens propre puisque certaines des œuvres de l’autrice ne « passent pas ».

Troisième idée reçue – Guèvremont serait une autrice plus populaire que littéraire. S’amalgamant aux deux autres, ce préjugé explique le curieux snobisme avec lequel son œuvre est parfois reçue. On peut formuler l’hypothèse que l’autrice n’a pas fini de rembourser le déficit en capital symbolique que lui a coûté son incursion dans les domaines paralittéraires du radioroman et du téléroman. La forme du cycle littéraire, qu’elle a été l’une des premières à pratiquer, a de même sans doute contribué à cette réputation d’autrice populaire.

Quatrième idée reçue – Guèvremont n’aurait écrit qu’une œuvre de valeur, le roman Le Survenant. Il s’agit, certes, de la rançon de l’immense succès de ce roman. Cette quatrième idée reçue constitue la somme des trois premières : Guèvremont serait une écrivaine inégale parce qu’elle a écrit En pleine terre, vestige de la Grande Noirceur, et qu’elle a commis avec la brasserie Brading des frasques paralittéraires. Une réflexion sur le cycle littéraire me semble particulièrement salutaire en ce qu’elle permet de lutter contre ces préjugés tenaces. Je vous remercie de m’avoir écouté si patiemment!